16

 

 

Comme vous l’avez sans doute deviné, je survécus. Je ne connus pas la même fin tragique et solitaire que ma sœur, tombée sous les assauts d’un monstre dans une impasse sordide des quartiers miteux de Dublin.

Mes parents n’auraient pas à aller récupérer mon cadavre auprès des autorités à l’aéroport. Du moins, pas encore.

Pourtant, j’avais bien cru ma dernière heure venue. Lorsque votre sang reste bloqué dans votre cerveau sous l’effet de la strangulation, vous ne pouvez pas savoir si votre assaillant compte maintenir la pression jusqu’à ce que mort s’ensuive, ou seulement assez longtemps pour vous faire perdre conscience. Sur le moment, il m’avait semblé que le spectre avait la ferme intention de m’achever.

Je n’allais d’ailleurs pas tarder à regretter qu’il ne l’ait pas fait…

Je me réveillai avec, sur la langue, un goût amer aux relents chimiques qui me fit soupçonner que j’avais été droguée, une douleur lancinante dans le poignet droit, lequel était lourd et paralysé, et dans les narines l’odeur de la pierre humide et couverte de mousse.

Gardant les yeux clos, je m’efforçai de conserver une respiration régulière, le temps de faire le point sur mon état physique et sur l’endroit où je me trouvais. Je voulais en savoir le plus possible avant de révéler à un éventuel observateur que j’avais repris conscience.

J’étais pieds nus. Je grelottais. Je n’avais sur moi que mon jean et mon tee-shirt. Mes bottes, mon pull et ma veste avaient disparu. Je me rappelai alors confusément avoir perdu mon sac dans l’impasse… ainsi que le portable que Barrons m’avait donné. À propos de Barrons, que faisait-il ? Grâce à mon bracelet, il aurait déjà dû me trouver et…

Je crus que mon cœur allait s’arrêter de battre. Je ne sentais pas le contact rassurant du bijou sur mon bras. En revanche, mon poignet était enserré par quelque chose de lourd et de rigide. Quand m’avait-on enlevé mon bracelet, et où ? Dans quel lieu me trouvais-je ? Combien de temps s’était écoulé depuis que je m’étais évanouie ? Qui était la Faucheuse ? La seule fois où j’avais vu le Haut Seigneur, il portait une tenue semblable à la sienne, mais de couleur pourpre. Le spectre et lui n’étaient-ils qu’une seule et même créature ? Je réfléchis un instant à la question, avant d’y répondre par la négative. Ils offraient certes quelques ressemblances, mais la nature de mon agresseur était très différente de celle du Haut Seigneur.

Toujours parfaitement immobile, je tendis l’oreille. Si quelqu’un rôdait dans les parages, il prenait soin de ne pas trahir sa présence.

J’ouvris les yeux. Il y avait un mur de pierres devant moi.

Comme personne ne lançait un menaçant « Ah, ah, te voilà réveillée ! Nous allons pouvoir reprendre notre séance de torture ! », je risquai un coup d’œil en direction de mon poignet. Il était plâtré.

— J’ai failli t’arracher la main, dit soudain une voix d’un ton désinvolte, me faisant sursauter. Tu t’es presque vidée de ton sang. Il a fallu procéder à quelques réparations.

Je m’assis avec une prudente lenteur. La tête me tournait, ma langue avait doublé de volume. Quant à mon poignet, il n’était qu’une boule de nerfs à vif. Une douleur intense remontait jusqu’à mon épaule.

Je regardai autour de moi. Je me trouvais dans une prison de pierres, une ancienne crypte fermée par des barreaux de métal, et j’étais étendue sur un matelas de paille.

De l’autre côté de la grille, le spectre m’observait.

— Où suis-je ?

— Dans le Burren, dit-il en agitant les plis de sa tunique. En dessous, plus exactement. Sais-tu de quoi il s’agit ?

Il me sembla qu’il souriait sous son capuchon. Bon sang, où avais-je entendu cette voix ? Ces inflexions onctueuses, un peu nasillardes, ce sifflement caractéristique m’étaient familiers. Et ce ton fluide, cette élégante désinvolture dans l’élocution… il me semblait les reconnaître.

Je savais aussi ce qu’était le Burren. Je l’avais vu sur des cartes et dans les livres que j’avais dévorés récemment dans l’espoir de combler mes lacunes en matière de culture générale. De l’irlandais Boireann, qui signifie « grand rocher » ou « endroit rocheux », il s’agissait d’une formation karstique dans le comté de Clare, une zone calcaire d’environ trois cents kilomètres carrés, dont la partie sud-ouest était bordée par les célèbres falaises de Moher. Son sol de craie sillonné de grykes, ou fissures dans la pierre, abondait en tombes néolithiques, dolmens, croix, et comptait environ cinq cents ring forts, ces très anciennes habitations fortifiées entourées d’une enceinte circulaire. Son sous-sol creusé par de nombreuses rivières souterraines abritait tout un réseau de passages et de caves labyrinthiques, certains ouverts au public, la plupart inexplorés et bien trop dangereux pour les spéléologues amateurs.

C’était là que je me trouvais.

L’endroit était cent fois plus effrayant que l’abri antiatomique où avait eu lieu la vente aux enchères clandestine. Moi qui déteste les lieux confinés à peu près autant que l’obscurité, j’avais l’impression d’être enterrée vivante. Le simple fait de penser à la formidable masse de roche dense et lourde qu’il y avait au-dessus de ma tête et qui m’interdisait tout accès à l’air et aux espaces ouverts, déclenchait en moi une véritable claustrophobie. Mon visage dut trahir ma terreur, car mon ravisseur ajouta :

— Oui, je vois que tu le sais.

— Où sont mes affaires ?

Il fallait que j’oublie l’endroit où j’étais, sous peine de perdre conscience. Je devais à tout prix concentrer mes pensées sur un autre sujet. En l’occurrence, mon bracelet. Où était-il ? M’avait-il été enlevé ici ou plus tôt, alors que je me trouvais encore dans l’impasse ? Je n’osai poser la question. Pourtant, j’avais impérativement besoin de le savoir.

— Pourquoi ?

— J’ai froid.

— Si tu veux mon avis, c’est bien le cadet de tes soucis.

Je ne pouvais le contredire. Même si je parvenais à me libérer, comment trouverais-je la sortie de ce dédale ? Sans boussole et sans la moindre idée de la direction à prendre, je devrais longer à tâtons des couloirs obscurs et traverser des grottes inondées. Malgré mon envie de savoir où il avait mis mes affaires, je jugeai plus prudent de ne pas insister, de crainte d’éveiller ses soupçons. Pour rien au monde je ne voulais attirer l’attention du spectre sur un objet susceptible d’avoir échappé à sa vigilance… et par conséquent, de me sauver la vie. Barrons pourrait-il me localiser ici, si loin en dessous de la surface de la terre ?

— Qui êtes-vous ? demandai-je. Que voulez-vous ?

— Retrouver ma vie, répondit-il, mais à la place, je vais devoir me contenter de te prendre la tienne. De la même façon que tu m’as volé la mienne. Morceau par morceau.

— Qui êtes-vous ? répétai-je.

De quoi parlait-il, à la fin ?

En guise de réponse, il leva une main et rabattit son capuchon en arrière.

Une sueur glacée descendit dans mon dos. Pendant quelques instants, je fus si surprise que je ne pus que regarder, muette d’horreur, le spectacle qui s’offrait à moi. Je scrutai le visage du spectre à la recherche d’un indice, d’un trait que j’aurais pu reconnaître. Ce fut dans ses yeux que je finis par le découvrir.

Des yeux froids comme la mort, inhumains, d’un jaune citron étincelant de haine.

Mallucé.

Je l’avais un peu trop vite balayé de mon échiquier. Fatale erreur ! Le vampire n’était pas mort.

C’était pire que cela.

Chaque fois que j’avais vu le spectre, tard le soir derrière une vitre, ou dans une allée, ou dans ce cimetière, avec Barrons, c’était lui qui m’observait. Chaque fois que j’avais traité par le mépris ma Faucheuse personnelle, la prenant pour le fruit de mon imagination, c’était encore lui. Je frissonnai. Combien de fois l’avais-je croisé, parfaitement inconsciente du danger que je frôlais ! Le soir où les Ombres s’étaient introduites chez Barrons et où j’étais entrée par effraction dans le garage, c’était lui qui se tenait dans l’allée de derrière. Il m’épiait depuis que je l’avais poignardé de ma lance. Ce qui m’intriguait, c’était qu’il ait attendu si longtemps avant de passer à l’action. Pour quelle raison ?

Je m’obligeai à soutenir son regard, ne fut-ce que pour m’empêcher de voir combien le reste de son visage était devenu repoussant. Je comprenais à présent pourquoi il avait toujours obstinément gardé son capuchon sur sa tête. Il se cachait. Je détournai les yeux, incapable de supporter plus longtemps ce spectacle.

— Regarde-moi, sale petite garce. Admire ton travail. Car c’est toi qui m’as fait cela.

— Certainement pas, répliquai-je aussitôt.

J’étais sans doute très ignorante, mais j’avais au moins une certitude : jamais je n’aurais fait subir de tels outrages à qui que ce soit, même à mon pire ennemi.

— Si, c’est toi. Et avant d’en finir avec toi, je vais te faire bien pire que cela. Tu mourras en même temps que moi. Cela nous prendra des semaines, peut-être des mois.

Je le regardai de nouveau et tentai de parler, en vain. Son visage, qui possédait autrefois une certaine beauté gothique à la Lord Byron, était à présent difforme et monstrueux.

— Je n’y suis pour rien, insistai-je. Ce n’est pas possible. Je n’ai rien fait d’autre que vous frapper au ventre avec ma lance. Je ne sais pas pourquoi le reste de votre personne est devenu si… si…

Je laissai ma phrase en suspens, ce qui valait mieux pour lui comme pour moi.

— Êtes-vous sûr que ce n’est pas Barrons qui vous a fait cela ?

Un système de défense qui manquait singulièrement de panache, j’en conviens volontiers, mais en cet instant, je n’éprouvais aucune envie de jouer les héroïnes. J’étais terrorisée et prête aux plus basses concessions. Mallucé me tenait pour responsable de son effroyable transformation, et le spectacle qu’il offrait était plus insoutenable que tout ce que j’avais pu voir dans les pires films d’horreur ou dans mes cauchemars les plus affreux.

— Tu m’as poignardé avec ta lance, garce !

— Mais vous êtes un vampire, protestai-je. Vous n’êtes pas un faë.

— Certaines parties de moi l’étaient ! siffla-t-il entre ses crocs.

Comme sa bouche ne fermait plus complètement, il postillonna sur moi à travers les barreaux de ma cage. Il me sembla recevoir une giclée d’acide. Je me hâtai d’essuyer mon bras sur mon tee-shirt.

— Comment ça, « certaines parties » ? répétai-je sans comprendre.

On ne pouvait pas être à moitié faë ! Pourtant, Mallucé ressemblait effectivement à un être dont les composantes faës auraient été détruites. Comme si ma lance avait tué certaines portions de sa personne. Par endroits, son visage avait conservé sa blancheur d’albâtre à la beauté gothique ; à d’autres, ses chairs étaient rongées par une immonde lèpre. Une veine noirâtre courait le long de sa joue, telle une marbrure malsaine sur un quartier de viande avariée. Au-dessus de son œil gauche, sa peau était grisâtre et suppurante. La quasi-totalité de son menton et de sa lèvre inférieure n’était qu’un amas de pourriture suintante. Une vision à vous donner la nausée… et pourtant, je ne parvenais pas à détacher mon regard de cette macabre transformation. Ses longs cheveux blonds étaient tombés, dénudant un crâne parsemé de boursouflures et parcouru d’un fin réseau veineux.

Je comprenais maintenant pourquoi ma main avait traversé son abdomen, lors de notre affrontement dans l’impasse. Sur son corps aussi, certains endroits devaient se décomposer, ce qui expliquait les changements dans sa démarche et dans sa voix. En outre, sa bouche qui ne fermait plus n’améliorait en rien sa diction. Pourrissait-il aussi de l’intérieur ? Le cœur au bord des lèvres, j’essuyai mes mains moites sur mon jean.

— Regarde-moi, ordonna-t-il, ses yeux jaunes brillant telles des lanternes dans un crâne grotesque. Observe-moi bien. Bientôt, tu connaîtras ce visage aussi bien que le tien. Nous allons devenir intimes, toi et moi. Très intimes. Nous allons mourir ensemble.

Ses yeux se plissèrent jusqu’à n’être plus que deux fentes.

— Sais-tu ce qui est le pire ?

Il n’attendit pas ma réponse.

— Au début, tu crois que c’est le fait de voir se décomposer des parties de toi. De te regarder dans le miroir en appuyant du bout du doigt sur des zones de ta propre chair qui cèdent sous la pression. De te demander si tu dois enlever les parties putréfiées ou t’abstenir d’y toucher, ou encore envelopper tout cela de bandages. De t’apercevoir que rien ne pourra réparer ta joue, ton oreille, ou ce morceau de ton estomac.

» Tu te dissous, pièce par pièce. Tu te dis que tu peux vivre avec cela, mais tu perds encore un peu de toi, et encore un peu, et tu finis par comprendre que le pire, ce ne sont pas les matins où tu découvres en t’éveillant qu’une nouvelle partie de toi n’est plus vivante, mais les nuits d’insomnie, hantées par la terreur de ce que l’aube révélera. Quel morceau de moi va y passer, cette fois ? Ma main ? Mon œil ? Vais-je perdre la vue avant de mourir ? Ou est-ce que ce sera ma langue qui va se mettre à pourrir ? Mes parties intimes ? Ce n’est pas la réalité qui te mine, c’est l’angoisse de ce qui va se produire. C’est l’attente, les heures où tu restes étendu dans le noir, à te demander à quoi le mal va s’en prendre ensuite. Ce n’est pas la douleur que tu ressens sur le moment, mais la crainte de ce qui te guette. Ce n’est pas la mort qui t’effraie – ce serait plutôt un soulagement – mais le désespoir de continuer à vivre, ce besoin aveugle et grotesque qui fait que tu t’obstines alors que tu as cessé depuis longtemps de supporter ce que tu es devenu. Tu comprendras cela quand j’en aurai fini avec toi.

Ses lèvres – l’une rose et nettement dessinée, l’autre livide, en décomposition – se retroussèrent, révélant une paire de crocs acérés.

— Regarde-moi. Pendant des années, j’ai incarné la Mort. Mon public en redemandait. Je lui offrais la Faucheuse dans ses plus beaux atours, parée de velours et de dentelles, dans les effluves les plus sensuels et les plus enivrants. J’entraînais mes adorateurs dans une danse macabre, je les emmenais vers des sommets bien plus vertigineux que n’importe quelle drogue ! Puis je plantais mes crocs dans leur gorge palpitante pour y boire leur sang, et ils expiraient entre mes bras dans une jouissance infernale. Personne n’en fera donc autant pour moi ? Qui me prendra par la main pour ma dernière valse vers les ténèbres ?

Je le regardai, incapable de trouver une réponse.

Son sourire était effrayant, et son rire, une sorte de raclement de gorge entravé d’humeurs malsaines, encore plus.

Il ouvrit les bras, comme pour m’inviter à valser.

— Tu seras ma cavalière. Bienvenue à mon grand bal dans la Crypte de l’Enfer ! La Mort n’a rien de séduisant. Elle ne vient pas à toi parfumée et drapée de soie, ainsi que je l’incarnais pour mes favoris. Elle est solitaire, cruelle, impitoyable. Elle te prend tout, avant de t’emporter.

Il laissa retomber ses bras.

— J’avais tout, reprit-il avec un calme effrayant. Je tenais le monde par les couilles. Je les baisais tous comme je le voulais, quand je le voulais ! J’étais vénéré, riche à millions, et sur le point de devenir le nouveau maître du monde. J’étais la main droite du Haut Seigneur, et maintenant, je ne suis plus rien. À cause de toi.

Il remonta son capuchon, en ajusta les plis autour de ce qui restait de son visage et se détourna.

— Réfléchis à tout cela, beauté ! lança-t-il par-dessus son épaule. Songe que bientôt, ta jolie frimousse ne sera plus qu’un souvenir. Pense aux nuits d’angoisse qui t’attendent, à te demander quel monstre tu contempleras dans le miroir en te levant. Essaie de dormir. Imagine par quoi tu vas être réveillée, et fais de beaux rêves… À partir d’aujourd’hui, ils sont tout ce qu’il te reste. Car je suis ton maître, désormais. Bienvenue en Enfer, poupée !

 

Étendue sur ma paillasse, je regardais sans le voir le plafond rocheux. Je m’étais réfugiée dans le sanctuaire sidhe-seer sous mon crâne, où j’avais fait une découverte : j’étais capable de créer une illusion. Non pas le genre d’illusion dans laquelle se drapaient les faës pour berner les humains, mais une illusion bien différente, visible de moi seule. Cela me suffisait. Par la seule puissance de ma pensée, j’avais peint la muraille de ma prison de nuages courant sur un ciel bleu. Déjà, je respirais plus librement.

Dire qu’il ne s’était écoulé que trois mois depuis cet après-midi de farniente où, musardant au bord de la piscine de mes parents dans mon bikini à pois roses préféré, j’écoutais Louis Armstrong chanter What a Wonderful World en sirotant du thé glacé !

La chanson qui passait en boucle sur ma bande-son intérieure, désormais, c’était Highway to Hell. En vérité, je me trouvais déjà sur cette autoroute pour l’Enfer à cette lointaine époque, mais je ne le savais pas. C’était une voie très rapide, sur laquelle même une formule 1 roulait à une allure d’escargot. J’étais passée du Paradis à l’Enfer en trois mois, dont un gaspillé en une demi-journée à jouer au volley sur une plage de Faery avec un clone de ma sœur…

— V’lane ? appelai-je dans un murmure insistant.

J’invoquai une légère brise tropicale pour chasser les nuages gris qui s’étaient formés sous le plafond.

— Vous êtes là, ou pas trop loin ? Je crois que je vais vraiment avoir besoin de votre aide, et vite !

Pendant quelques instants – je n’avais pas la moindre notion du temps, là où je me trouvais –, j’appelai avec ferveur le faë de volupté fatale. Je lui fis des promesses dont je savais déjà que je les regretterais. Je souscrivais d’avance à tout, pourvu que je ne meure pas…

Sans le moindre succès.

Où que fut le prince faë, il ne m’entendait pas.

Qu’était-il donc arrivé à Mallucé ? Qu’avait-il voulu dire en affirmant que certaines parties de lui-même étaient faës ? Comment des morceaux d’une personne – un vampire, en l’occurrence – pouvaient-ils être faës ? À ma connaissance, on était faë ou on ne l’était pas. Un faë et un humain pouvaient-ils se reproduire, et le résultat de leur union était-il un demi-faë ?

Non, ce n’était pas cela. Chaque fois que j’avais croisé Mallucé, j’avais focalisé mon attention sur lui, curieuse de comprendre qui il était. Mes perceptions avaient toujours été confuses, et aujourd’hui, elles l’étaient plus que jamais. Mais j’aurais juré que s’il était partiellement faë, il ne l’était pas de naissance. Il l’était devenu. C’était le fruit d’une transformation… mais laquelle ? Cela fonctionnait-il comme le vampirisme ? Fallait-il être mordu par une autre créature ? être sexuellement possédé par celle-ci ? se livrer à je ne sais quel ignoble rituel ?

Mes nuages avaient disparu. Maintenir l’illusion demandait une intense concentration, et entre la douleur qui me vrillait le poignet et les effets des drogues que mon ravisseur m’avait injectées pour que je reste inconsciente durant le trajet de Dublin au Burren, mon énergie s’épuisait rapidement. Sans compter que j’étais affamée, tremblante de froid et terrifiée.

Je roulai sur le côté et regardai au-delà des barreaux de ma cellule.

Ma prison se trouvait à l’extrémité d’une vaste caverne de forme oblongue éclairée par des torches fixées au mur. À l’autre bout, une lourde porte métallique était encastrée dans la muraille.

Au centre de la caverne se trouvait une dalle de pierre assez basse qui offrait une désagréable ressemblance avec un autel sacrificiel. Dessus, je vis des couteaux, des bouteilles et des chaînes. Trois luxueux fauteuils victoriens recouverts de velours avaient été disposés autour. Apparemment, Mallucé avait emporté dans sa tanière souterraine quelques vestiges de sa splendeur gothique d’autrefois.

Le long des murs suintants d’humidité s’alignaient toute une série de cellules, les unes si exiguës qu’elles étaient à peine plus que des placards de pierre grillagés dans lesquels une personne seule tenait tout juste, les autres assez spacieuses pour accueillir une douzaine de pensionnaires. La mienne se trouvait entre deux autres, vides, dont elle était séparée par des barreaux. Dans certaines, situées à l’opposé de la mienne, j’apercevais parfois un mouvement. J’appelai mes camarades d’infortune, mais personne ne me répondit. Mallucé avait-il créé cet endroit de toutes pièces, ou bien me trouvais-je dans quelque ancienne geôle souterraine datant d’une époque aux mœurs barbares, si profondément enfouie sous terre qu’elle avait sombré dans l’oubli ?

Vite, des nuages ! Je roulai de nouveau sur le dos et en fis apparaître trois, ronds et blancs, signe de beau temps, dans mon ciel imaginaire. J’étais agitée de tremblements. Les mots « profondément enfouie sous terre » m’étaient formellement contre-indiqués. J’avais quelques amis qui pratiquaient la spéléologie à leurs heures perdues ; je m’étais toujours demandé s’ils n’étaient pas un peu cinglés. À quoi bon s’enterrer avant l’heure ?

Après avoir ajouté un soleil brillant et un rivage de sable clair à mon trompe-l’œil, je me vêtis de rose. Puis je fis entrer ma sœur dans le tableau.

Enfin, je parvins à m’endormir.

 

Je sus qu’il était auprès de moi dans la grotte dès l’instant où je me réveillai.

Faë, mais pas tout à fait. Je percevais sa présence – un chancre gonflé de pus, un concentré de haine et de noirceur.

Une sourde migraine rôdait sous mon crâne, due sans doute à mon inconfortable oreiller de pierre. La douleur à mon poignet n’était plus l’insupportable brûlure de nerfs à vif, mais « simplement » la souffrance normale de chairs tuméfiées. J’étais si faible que le moindre mouvement me semblait un effort au-delà de mes capacités. Mon geôlier envisageait-il de me laisser mourir de faim ? J’avais lu quelque part qu’il fallait trois jours pour se déshydrater totalement. Combien de temps me restait-il avant cette échéance ? Les heures me paraîtraient-elles aussi longues que des journées entières ? des mois ? Combien de temps étais-je restée inconsciente ? Combien de temps avais-je dormi ?

Si j’en jugeais par les vertiges qui me saisissaient, au moins vingt-quatre heures avaient passé, peut-être plus. Mon métabolisme élevé m’obligeait à de fréquents repas. Cela dit, même si mon ravisseur me donnait de quoi boire et manger, à quoi ressemblerais-je après une semaine de ce régime ? après un mois entier ?

En roulant sur le côté avec précaution, j’aperçus une miche et un petit pichet d’eau un peu plus loin dans ma cellule. Je me ruai dessus tel un animal affamé.

Tout en arrachant un morceau de pain sec que je portai avidement à mes lèvres, j’observai Mallucé à travers les barreaux. Il me tournait le dos. Son capuchon était baissé. L’arrière de son crâne chauve et boursouflé semblait gagné par la gangrène. Les échancrures de sa tunique révélaient les flots de dentelle qui soulignaient son cou et ses poignets gantés de noir. Même en voie de putréfaction, il continuait à s’habiller comme un prince gothique. Il était attablé à la grande dalle et, vu les immondes bruits de mastication qui me parvenaient, il prenait lui aussi son repas. J’aperçus l’éclat de son couteau, puis j’entendis le son de la lame raclant la pierre, et de nouveau le concert de mâchoires. De quoi un vampire à moitié pourri se nourrissait-il ? Si je me fiais à l’auteur des Vampires pour les nuls, il n’était pas censé manger mais boire, et exclusivement du sang. Sa position et les autres fauteuils me masquaient la vue de son assiette.

J’engloutis mon pain avec une telle précipitation que bientôt, il me sembla avoir un bloc de pâte compact sur l’estomac. En dépit de la soif intense qui me tenaillait, je bus mon eau avec prudence. Il n’y avait aucun cabinet de toilette dans ma cellule. Étrange, la gêne que l’on peut concevoir pour des broutilles alors qu’on est aux prises avec des problèmes autrement cruciaux ! Comme si la perspective de se faire tuer par son pire ennemi était moins redoutable que celle de devoir uriner devant lui…

Une fois de plus, je me demandai où était Barrons. Qu’avait-il fait en constatant que je ne rentrais pas au magasin après son appel urgent ? Était-il parti à ma recherche ? Me cherchait-il encore ? Mallucé ou les Traqueurs l’avaient-ils fait prisonnier, lui aussi ? Je refusais de le croire. J’avais besoin d’espoir. À n’en pas douter, si Mallucé l’avait attrapé, il s’en serait vanté devant moi et aurait incarcéré Barrons assez près de moi pour que je le voie. Alors, ce dernier était-il rentré au magasin, furieux contre moi, persuadé que j’avais de nouveau fugué en compagnie de V’lane et que j’allais réapparaître un mois plus tard, vêtue d’un simple bikini, la peau hâlée par un mois de soleil faë ?

Où était son bracelet ?

Et pourquoi, pourquoi ne l’avais-je pas laissé me tatouer ? En quoi cela était-il un problème ? Aujourd’hui, je lui aurais volontiers permis de me marquer les f… leurs au fer rouge si cela l’avait aidé à me délivrer de cet enfer ! Quelle mouche m’avait piquée de refuser ainsi ? J’étais vraiment la reine des gourdes.

Un bracelet est vite ôté, mademoiselle Lane… Avec un tatouage, ce risque n’existe pas.

Je payais le prix fort pour apprendre cette leçon. La question était maintenant de savoir si j’y survivrais.

— Où est ma lance ? demandai-je.

Si elle était dans les parages, j’avais des chances que le bracelet le soit aussi.

— Elle n’est pas à toi, répondit le vampire en levant le bras pour porter une nouvelle bouchée à ses lèvres d’un geste délicat.

J’aperçus brièvement sa main. Il portait des gants noirs faits d’une matière rigide et brillante. Je me demandai si ses doigts avaient commencé à pourrir et s’il les couvrait pour leur conserver leur forme. Il mâchonna quelques instants en silence.

— Tu ne l’as jamais méritée. J’ai fait savoir que je la détenais. Quiconque me rendra à moi-même en héritera.

— Parce que vous vous imaginez que vous pouvez vous rétablir ?

Il semblait sorti tout droit de la tombe. Qui aurait pu réparer de tels dégâts ?

Il ne me répondit pas, mais je perçus sa colère. La crypte en était soudain glaciale.

— Puisque vous étiez le bras droit du Haut Seigneur, pourquoi ne fait-il rien pour vous ? Il doit être très puissant, s’il est le chef des Unseelie…

Il cracha, et je vis un morceau rougeâtre et cartilagineux jaillir de ce qui restait de ses lèvres avant de tomber sur le sol, au-delà de la dalle. Que mangeait-il donc ? de la viande crue ?

— Il n’est rien ! C’est d’un vrai faë que j’ai besoin, pas d’un demi-faë ! Peut-être la Reine en personne se manifestera-t-elle pour réclamer la lance. Elle me donnera l’élixir de vie en échange, et je deviendrai véritablement immortel !

— Pourquoi le ferait-elle, alors qu’il lui suffit de vous tuer pour s’emparer de la lance ?

Il pivota sur lui-même et darda sur moi son regard jaune fou de rage. Les nuages étaient mon illusion. La sienne était l’immortalité offerte par la souveraine seelie, et je venais de la faire voler en éclats.

Soudain, je fus saisie d’un haut-le-cœur. Mon cerveau venait seulement de décrypter le spectacle qui se déroulait devant mes yeux. Certaines choses n’ont pas besoin de passer par le filtre de la conscience ; elles vous prennent directement aux tripes. Un bout de chair sanguinolente pendait des lèvres en décomposition de Mallucé, et il en tenait un autre à la main. Le morceau était d’un rose grisâtre, parsemé de pustules. Et je voyais à présent ce qu’il y avait derrière lui.

Je savais maintenant de quoi était composé son menu.

Un rhino-boy était enchaîné à la dalle. Vivant, mais à l’agonie. Ce qui restait de lui était agité de soubresauts.

Mallucé mangeait de l’Unseelie.

Le pain que je venais de dévorer se transforma aussitôt en une indigeste masse de levain qui se mit à gonfler dans mon ventre, menaçant de remonter vers ma gorge. J’avalai vigoureusement ma salive. Il n’était pas question que je rende mon repas ; j’avais trop besoin du peu d’énergie qu’il m’avait procurée. Qui savait quand mon geôlier penserait à me nourrir de nouveau ?

— C’était vous ! m’exclamai-je. Celui qui mutilait les Unseelie, c’était vous ! Pourquoi ?

Je comprenais enfin. Ce n’était pas une coïncidence si les corps à moitié dévorés jalonnaient le passage de celui que j’avais pris pour ma Faucheuse personnelle. La nuit où j’avais exploré le cimetière pour Barrons, c’était Mallucé qui avait mangé le rhino-boy sur lequel j’avais failli marcher. Le jour où j’en avais trouvé un autre à demi dévoré sur une benne à ordures tout près du magasin, c’était encore lui. Il était si proche, et je n’en savais rien !

D’un geste délicat, il poussa sa bouchée entre ses lèvres. Le morceau trembla, dans une ultime tentative de résistance. Je pouvais voir la « nourriture » de Mallucé remuer derrière ses joues. La chair dont il s’alimentait n’était pas seulement crue. De même que le pauvre diable enchaîné à la dalle, elle était encore vivante.

— Tu te poses des questions sur moi, sorcière ? J’en ai autant à ton service. Je suis tombé malade immédiatement après que tu m’as poignardé avec ta lance. Tout d’abord, je n’ai pas compris ce qui m’arrivait. Ce n’est qu’une fois dans mon refuge que j’ai pris la mesure du mal que ta lance m’avait infligé. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à apparaître devant toi et à t’épier. Au début, j’étais trop faible pour faire plus que t’observer en ruminant ma vengeance, mais ma soif de revanche m’a peu à peu rendu mes forces. Cela, et une alimentation roborative constituée d’une bonne part de mes adorateurs.

Un rire sans joie lui échappa.

— Pendant mes nuits sans sommeil où je me regardais me décomposer dans une puanteur effroyable, j’ai eu un nombre incalculable de conversations avec toi, partagé des dizaines de moments intimes en ta compagnie. J’attendais mon heure. Tu finissais toujours par tomber en adoration devant ma personne, avant de rendre ton dernier soupir. Tu te poses des questions à mon sujet ? Tu auras bientôt toutes les réponses. Je serai ton Haut Seigneur.

Tout en mâchonnant, il poursuivit :

— C’est lui qui m’a appris à les manger.

— Ah ? Pour quoi faire ?

Enfin, des informations sur mon pire ennemi !

— Pour les voir.

— Voir qui ? Les faës ? demandai-je, incrédule.

Il hocha la tête.

— Vous voulez dire qu’il suffit d’ingérer de la chair unseelie pour développer la capacité de voir les faës ? Même si on est une personne normale ? Ou faut-il déjà être un vampire ?

Il haussa les épaules d’un air évasif.

— J’en ai fait manger à deux de mes gardes du corps. Ça a marché.

Il ne précisa pas ce qu’il avait fait ensuite des deux vigiles, et je m’abstins de lui poser la question. Je l’imaginais assez mal laisser en vie un rival potentiel. Si Mallucé était réellement un vampire, je doutais qu’il ait jamais créé un nouveau mort-vivant.

— Quel intérêt avait le Haut Seigneur à vous permettre de voir les faës ?

— C’était un gage de bonne volonté de sa part. Il avait besoin de mon argent et de mes relations. Je voulais son pouvoir. Et j’étais sur le point de le lui arracher, tout entier, quand tu es arrivée. J’avais gagné à ma cause la plupart de ses adorateurs. Ils me sont d’ailleurs plus utiles que jamais.

Il prit une nouvelle bouchée en fermant les yeux. L’espace d’un instant, une obscène expression de sensualité passa sur son visage à demi décomposé.

— Tu n’as pas idée de ce que c’est, dit-il en mâchant lentement, un sourire aux lèvres.

Puis ses paupières s’ouvrirent, révélant un regard luisant de dégoût.

— Ou plutôt, de ce que c’était, puisque tu es venue tout fiche en l’air ! J’avais atteint l’ultime étape. Cela me donnait le pouvoir de la magie noire et la puissance de dix hommes. Tous mes sens étaient affûtés ; je me remettais de blessures mortelles aussi vite qu’elles m’étaient infligées. J’étais invincible. Maintenant, il ne me reste plus rien de cette ivresse de vivre. Mon régime me donne de la force et me permet de ne pas mourir, à condition que je m’alimente en permanence, mais rien de plus. Par ta faute !

Je comprenais mieux la haine qu’il me vouait. Non seulement je l’avais privé de ce qui faisait le sens de sa vie, mais je lui avais infligé une blessure qu’aucune chair unseelie ne guérirait jamais et qui le tuait lentement, attaquant l’une après l’autre les parties faës dont son organisme était constitué – une notion que j’avais toujours du mal à appréhender.

— Est-ce que le fait de manger de la chair unseelie finit par vous transformer en faë ? C’était donc votre but, au Haut Seigneur et à vous ? Vous comptiez vous nourrir de faës pour le devenir à votre tour ?

— Au diable le Haut Seigneur, gronda-t-il. C’est moi, ton maître, à présent !

— Il vous a abandonné, n’est-ce pas ? demandai-je sur une intuition. Quand il vous a vu dans cet état, il vous a laissé mourir. Vous ne lui serviez plus à rien.

J’avais visé juste ; il était si furieux que sa rage était presque palpable. Il me tourna le dos pour se tailler une nouvelle tranche de chair. Dans son mouvement, les plis de sa tunique s’écartèrent, révélant un éclat doré et argenté. L’espace d’un instant, j’aperçus un objet incrusté de saphirs et d’onyx suspendu à son cou.

L’Amulette ! C’était lui qui nous avait devancés, lors de cette expédition de sinistre mémoire dans la propriété du richissime Gallois !

Je n’y comprenais plus rien. Puisqu’il détenait l’Amulette, pourquoi ne s’en était-il pas servi pour se soigner ? À peine cette question m’eut-elle traversé l’esprit que la réponse s’imposa à moi. D’après Barrons, le Roi Noir l’avait forgée pour sa favorite, qui n’était pas faë, et pour invoquer son pouvoir, un humain devait posséder une personnalité exceptionnelle. Mallucé n’était plus tout à fait humain, désormais. Il y avait donc deux possibilités. Soit sa part faë l’empêchait de bénéficier du pouvoir de la précieuse relique… soit, en dépit de ses machinations pour s’élever aux plus hauts sommets, John Johnstone Junior n’avait rien d’une personnalité exceptionnelle.

Et moi ?

Je devais à tout prix m’emparer de cette relique.

Une pensée moins réjouissante suivit celle-ci. Le responsable du carnage de la propriété du Gallois n’était autre que Mallucé. Comment Barrons avait-il formulé cela, au fait ? Celui qui a assassiné les vigiles et le personnel cette nuit-là – qui qu’il soit, quoi qu’il soit – a opéré avec le détachement sadique d’un psychopathe, ou sous le coup d’une rage folle.

À qui, à quoi avais-je affaire ? À un authentique malade mental ou à un simple lunatique ? Aucune de ces deux options ne me réjouissait, mais j’étais peut-être capable de manipuler un lunatique. En revanche, je n’étais pas certaine de pouvoir survivre à un affrontement avec un psychopathe.

Mallucé se leva et, se tournant vers moi, retira des larges plis de sa tunique un mouchoir de fine batiste avec lequel il tamponna délicatement son menton. Puis il me sourit, dévoilant ses crocs.

— Comment va ton poignet, ma belle ?

De fait, il était en bonne voie de guérison. Jusqu’à ce que mon geôlier le brise de nouveau entre ses doigts.

 

Pour la suite, je préfère m’en remettre à votre imagination.

En dépit des apparences, ceci n’est pas une histoire de ténèbres mais de lumière. Khalil Gibran a écrit : « Plus profondément le chagrin creusera votre être, plus vous pourrez contenir de joie. » Pour qui n’a jamais connu l’amertume, la douceur n’est qu’un agréable parfum. Un jour, c’est sûr, je connaîtrai la joie absolue.

Qu’il vous suffise de savoir que Mallucé n’avait pas l’intention de me tuer. Pas encore. Il connaissait un nombre infini de manières plus inventives les unes que les autres de faire mal sans infliger de blessures définitives ou invalidantes. Au demeurant, sa stratégie consistait surtout à m’obliger à penser aux horreurs qu’il allait me faire subir plus qu’à passer réellement à l’acte. Sans doute pour que je ressente la même terreur que celle qu’il avait endurée. Pendant de longues semaines, il était resté dans son antre, luttant contre le poison qui rongeait son corps, préparant ma mise à mort dans les moindres détails, et à présent, il entendait bien prendre tout son temps pour exécuter son plan. Il attendrait de m’avoir fait souffrir le plus possible sans me défigurer avant de commencer à me détruire. Chaque parcelle de lui-même qu’il avait perdue, m’expliqua-t-il, je la perdrais aussi. Il s’était assuré les services d’un médecin afin de réparer les dégâts de sa chirurgie barbare, de sorte que je ne mourrais pas trop vite.

J’aurais perdu la raison avant qu’il en ait fini avec moi.

Au début, il me fit tenir par deux Unseelie. Puis il les renvoya, entra dans ma cellule et s’en prit à moi de façon plus personnelle. Il semblait persuadé qu’un lien particulier, intime, s’était tissé entre lui et moi. Pendant nos tête-à-tête, il bavardait à bâtons rompus, me disait des choses que mon esprit embrumé par la souffrance n’enregistrait pas, mais qui refaisaient surface par la suite. Il avait longuement répété ses répliques, durant ces heures passées à tenir des discours imaginaires en ma compagnie, et il les distillait selon un timing calculé pour exercer sur moi un impact maximal. Mallucé le vampire, avec son manoir gothique façon famille Addams, ses tenues décadentes et sa façon si séduisante d’incarner une Mort aux crocs acérés, était un acteur-né… et j’étais sa dernière spectatrice. Son ultime représentation serait la plus grandiose, il y était résolu ! Avant qu’il en ait terminé avec moi, me promit-il, je me jetterais à son cou pour le supplier de me réconforter, alors même qu’il serait occupé à m’anéantir…

Il y a la torture physique, et il y a la torture psychologique. Mallucé pratiquait les deux à la perfection.

Je tenais le coup. Je ne criais pas trop. Pour l’instant. Dans cet océan de souffrance, je m’accrochais de toutes mes forces à une minuscule bouée de sauvetage gonflée à l’optimisme. Je me répétais que tout allait s’arranger, que même s’il m’avait enlevé mon bracelet, mon tortionnaire ne se débarrasserait pas d’un objet qui pouvait se révéler utile pour lui, d’autant plus qu’il était sans doute fort ancien et valait une petite fortune. Je m’obligeais à croire qu’il avait laissé le bijou dans l’une des cellules alentour et que Barrons finirait par le localiser et me retrouver. La douleur allait bientôt s’arrêter. Je ne mourrais pas ici. Ma vie n’était pas finie.

C’est à ce moment-là qu’il utilisa sa botte secrète.

Les lèvres étirées par un sourire lépreux, le visage si proche du mien que son odeur putride de chairs corrompues me mettait au bord de l’évanouissement, il fit éclater ma bouée de sauvetage, qui sombra aussitôt dans les noires profondeurs de l’océan. Il me conseilla d’oublier Barrons, si je comptais encore sur lui, et si c’était cet espoir qui m’aidait à ne pas céder à la panique. Barrons ne viendrait jamais. Mallucé s’en était personnellement assuré en me dépouillant de mon « habile petit bracelet de localisation » dans l’impasse où il m’avait assaillie et où il l’avait laissé, ainsi que mon sac et mes vêtements. Il avait tout abandonné sur place, sur un tas de bouteilles cassées et autres débris.

Il m’expliqua également que les Traqueurs nous avaient emmenés jusqu’ici, ne laissant aucune trace de moi au sol. En bon négociateur, Mallucé avait renchéri sur les tarifs du Haut Seigneur pour louer leurs services temporairement. Les mercenaires qu’ils étaient avaient accepté son offre. Il n’y avait aucune chance que Jéricho Barrons, ou qui que ce soit d’autre, vienne à ma rescousse. Le monde m’avait oubliée. J’étais seule avec lui, dans le ventre de la terre, pour le pire et pour le pire.

L’expression « le ventre de la terre » faillit avoir raison de mes nerfs. L’image de mon bracelet désormais inutile, jeté sur le pavé de cette impasse, encore plus. J’étais à plusieurs heures de Dublin, enfouie sous des tonnes de roche.

Mallucé avait raison. Sans le bracelet, on ne me retrouverait jamais, vivante ou morte. Au moins, pour Alina, papa et maman avaient récupéré un corps. Le mien resterait perdu à jamais. Comment supporteraient-ils de perdre leur seconde fille, disparue sans laisser de traces ? Cette perspective m’était insoutenable.

Exit Barrons, donc. Quant à V’lane, il était aux abonnés absents. S’il avait été à l’affût, comme il m’y avait habituée, il serait intervenu depuis belle lurette. Jamais il n’aurait laissé Mallucé me faire subir les outrages qu’il m’infligeait. Cela signifiait donc qu’il était occupé ailleurs, sans doute en mission pour le compte de sa souveraine, et qu’il faudrait des mois, selon le calendrier des hommes, pour qu’il réapparaisse. Il ne me restait plus que Rowena et ses troupes soigneusement encadrées, mais la Grande Maîtresse avait été très claire. Elle ne risquerait pas la vie de dix sidhe-seer pour en sauver une seule.

Hélas ! Mallucé avait raison. Personne ne me viendrait en aide.

J’allais crever comme une bête dans cette sinistre caverne, sous les coups d’un monstre à demi décomposé. Je ne reverrais jamais le soleil. Je ne sentirais plus jamais sous mes pieds la caresse du sable chaud ou de l’herbe tendre. Je n’écouterais plus jamais une seule chanson, je n’inspirerais plus une seule goulée de l’air moite et parfumé de Géorgie, je ne goûterais plus au poulet aux noix de pécan ni à la tarte aux pêches de ma mère.

Il allait faire de moi une tétraplégique, m’avait-il dit, mais lentement, par degrés infinitésimaux. Quant aux tourments qu’il envisageait d’infliger à ce qui resterait de mon corps, ils étaient tellement insupportables que je ne les entendais plus. Mon cerveau refusait d’enregistrer ses paroles. Je coupais le son. Je faisais la sourde oreille.

L’espoir est aussi vital que l’oxygène. Sans lui, nous ne sommes rien. L’espérance forge la volonté. La volonté forge le monde. Mon optimisme avait été broyé, mais pas détruit. Il me restait encore une furieuse envie de vivre et une ultime chance.

Une chance aux reflets d’or et d’argent, incrustée de saphirs et d’onyx.

Ce jour-là, on m’avait nourrie, on ne m’avait pas encore fait trop mal et l’un de mes bras était valide. Qui savait dans quel état je serais le lendemain ? Je ne parvenais plus à me projeter dans l’avenir, mais je savais que je ne retrouverais pas de sitôt les maigres forces que j’avais pour l’instant. Peut-être était-ce ma dernière chance. Mon tortionnaire avait-il l’intention de m’administrer des psychotropes, comme il m’en avait menacée ? La seule idée que l’on me prive du contrôle de mon esprit était plus insupportable que celle d’affronter de nouvelles souffrances physiques. Je n’aurais alors même plus la faculté d’essayer de lutter. Je ne laisserais pas cela arriver.

C’était maintenant ou jamais. Il fallait que je sache si j’étais ou non dotée d’une personnalité exceptionnelle, et je n’aurais sans doute pas d’autre occasion de le découvrir. La prochaine fois, il prendrait peut-être à Mallucé la fantaisie de m’enchaîner. Voire pire.

Il était toujours en train de parler, n’ayant apparemment pas remarqué que j’étais sourde à ses paroles et ne répondais même plus par des sursauts ou des tressaillements à ses vantardises. Il jouait enfin le rôle de sa vie. Un éclat halluciné brillait au fond de ses yeux jaunes.

Lorsqu’il s’approcha de nouveau de moi, je me jetai à son cou, feignant de solliciter une étreinte. Pris au dépourvu, il hésita. Je profitai de sa surprise pour plonger ma main valide sous sa tunique, cherchai fébrilement l’Amulette et refermai mes doigts autour lorsque je l’eus trouvée. Il me sembla que je tenais un glaçon dans ma paume. Le métal était si froid qu’il me brûla, et j’eus l’impression qu’il me rongeait jusqu’aux os. Ignorant la douleur, je demeurai immobile. Pendant quelques instants, il ne se passa rien. Puis une flamme sombre, une lumière bleutée commença à émettre des pulsations sous les plis de sa tunique, entre mes doigts.

J’avais ma réponse.

MacKayla Lane avait l’étoffe d’une héroïne !

Je n’aurais rien eu contre un peu de force supplémentaire et une bonne carte pour me sortir de ce labyrinthe, mais c’était déjà un encouragement. Je tirai mais la chaînette était constituée de solides maillons. Impossible de l’arracher. Je me souvins du vieux Gallois à moitié décapité. La chaîne avait-elle été renforcée par quelque sortilège ? Rassemblant toute mon énergie, je tirai dessus, quitte à déchirer les chairs à moitié putréfiées du cou de Mallucé. La pierre translucide enchâssée dans l’Amulette se mit à lancer des éclairs, baignant la grotte d’une lumière irréelle.

— Traîtresse ! s’exclama le vampire, incrédule.

J’avais deviné. Il n’avait jamais été capable d’obtenir semblable réponse de l’Amulette. Je lui décochai un sourire dédaigneux.

— Désolée, Mallucé. Vous n’avez pas le profil du poste.

— C’est impossible ! Tu n’es personne ! Tu n’es rien du tout !

— Une rien du tout qui va quand même te botter les fesses, vampire à la manque.

Du bluff, rien que du bluff. En priant pour qu’une part de vérité s’y cache. Lorsque la chaîne céda enfin, je faillis tomber en arrière. Je reculai en trébuchant et me cognai contre le mur, l’Amulette toujours serrée entre mes doigts aux jointures blanchies par l’effort.

Pendant quelques secondes, Mallucé me considéra d’un regard vide. En le voyant porter une main gantée à son cou d’un geste hésitant, je compris qu’il se demandait comment j’avais pu lui arracher la chaîne, alors que pour sa part, il avait presque dû décapiter son précédent propriétaire pour la lui retirer. Puis une grimace de rage tordit ses traits. Il bondit sur moi, les poings fermés, retroussant ses lèvres sur ses crocs, et tenta de me reprendre la précieuse relique avant que j’aie réussi à m’en servir.

Je me recroquevillai autour de mon trésor pour le protéger et concentrai toute mon attention sur lui.

Rien ne se passa.

Je me réfugiai alors dans le sanctuaire sidhe-seer sous mon crâne et ordonnai : « Détruis-le. Réduis-le en lambeaux. Massacre-le. Sauve-moi. Je veux vivre ! Dis-lui d’arrêter de me frapper, dis-lui d’arrêter ! »

Les coups continuèrent à pleuvoir sur moi. Ni mes ordres ni mes supplications n’avaient le moindre impact sur la réalité.

Entre mes doigts, l’Amulette était froide comme la mort. Son étrange lumière remontait le long de mon bras, me communiquant sa terrible puissance. Elle était animée d’une sorte de conscience ténébreuse et répandait autour d’elle un froid polaire. Je percevais les pulsations qu’elle émettait, semblables à de féroces battements de cœur. C’était manifeste, elle voulait être utilisée par moi, elle était avide de servir. Mais un point m’échappait encore : ce que j’avais à faire pour me l’approprier. Puis une autre révélation s’imposa à moi. Je n’avais pas brisé la chaîne. C’était elle qui s’était cassée, volontairement, en accord avec ses obscurs desseins. L’Amulette avait choisi de venir à moi, ayant sans doute perçu que je saurais faire usage d’elle.

À moi d’accomplir le reste… à commencer par en deviner le fonctionnement. Sans son aide.

Nom de nom, qu’étais-je censée faire ?

Mallucé avait planté ses dents dans mon cou et tirait de toutes ses forces. De ses poings gantés de cuir rigide il me martelait les côtes pour m’obliger à me relever, afin de me reprendre l’Amulette. Rapidement, la douleur absorba toute mon attention.

Le Pilier des Ténèbres ne m’était d’aucun secours.

Si j’avais eu le temps d’apprendre à m’en servir, j’aurais peut-être eu une chance…

Dans le cas présent, ma seule réussite était d’avoir fait exactement ce qu’il fallait pour irriter Mallucé.

Tandis qu’il recommençait à me rouer de coups, je compris soudain qui il était vraiment. En définitive, sous le masque de vampire, derrière le personnage cynique et cruel, il n’y avait qu’un enfant tyrannique et gâté. En aucun cas un psychopathe, mais un enfant mal élevé, égoïste et querelleur, incapable de supporter que le voisin ait un plus beau jouet que lui, c’est-à-dire plus d’argent, de pouvoir ou, dans mon cas, de force de caractère que lui. S’il ne pouvait posséder ce qu’avait l’autre, faire comme l’autre, être comme l’autre, il fallait qu’il le détruise.

Je songeai aux cadavres qu’il avait semés sur son passage dans la propriété du vieux Gallois. À la mort atroce qu’avaient connue les malheureux.

Personne ne me venait en aide. Je ne parvenais pas à faire fonctionner l’Amulette. Je n’étais pas de taille à lutter contre Mallucé, malgré son état de décomposition avancée. Je devais me résoudre à l’évidence : je ne m’en sortirais pas.

Quand le contrôle que vous exercez sur votre environnement vous est retiré, ne vous laissant pas d’autre option que la mort – votre seule marge de manœuvre étant de choisir entre une fin rapide et une lente agonie –, la vie n’est plus qu’une pilule amère. La souffrance que j’endurais la rendait d’autant plus facile à avaler.

Je ne le laisserais pas me briser les quatre membres.

Je ne le laisserais pas me faire perdre l’esprit. Il est des choses pires que la mort.

Mallucé était dans une rage aveugle, plus violente que tout ce que j’avais jamais vu chez lui. Je le sentais sur le point de perdre le peu de maîtrise de soi qu’il lui restait. Très bien. J’allais jeter un peu d’huile sur le feu.

Je me souvins alors des paroles de Barrons au sujet de la jeunesse de John Johnstone Junior, du mystérieux accident qui avait coûté la vie à ses parents et de la rapidité avec laquelle Mallucé s’était désolidarisé de tout ce qu’ils avaient représenté. Je n’avais pas oublié la façon dont Barrons avait provoqué Mallucé en faisant allusion à ses origines, ni la réaction immédiate du vampire, qui était entré dans une rage folle en entendant son nom de naissance, auquel il semblait vouer une haine sans bornes.

— À quel moment es-tu devenu complètement cinglé, J.J. ? articulai-je avec peine entre deux coups. Quand tu as assassiné tes parents ? Ou encore avant ?

— Je m’appelle Mallucé ! éructa-t-il. Pour toi, Haut Seigneur ! Mon imbécile de père n’a eu que ce qu’il méritait. Il se prenait pour un philanthrope. Il était en train de dilapider mon héritage. Je lui ai dit d’arrêter ; il ne m’a pas écouté.

Barrons avait déclenché la colère de Mallucé en l’appelant Junior, le même surnom qu’Alina m’avait donné. Je ne pouvais pas le salir en l’utilisant pour lui, mais j’avais une autre idée.

— C’est toi qui mérites la mort. Tu es une grossière erreur de la nature, Johnny.

— Ne m’appelle pas comme ça ! Je te l’interdis ! hurla-t-il.

J’avais mis le doigt sur un point sensible. Le vampire détestait encore plus ce surnom que celui de Junior. Parce que c’était le petit nom que sa mère lui donnait ? le diminutif un peu méprisant qu’utilisait son père ?

— Ce n’est pas moi qui ai fait de toi un monstre. C’est toi, Johnny.

J’avais si mal que j’en perdais presque l’esprit. Je ne sentais plus l’un de mes bras. Mon visage et mon cou ruisselaient de sang.

— Johnny, Johnny, Johnny ! chantonnai-je. Johnny, petit Johnny ! Tu ne seras jamais qu’un…

Le coup suivant atterrit sur ma pommette. Je tombai à genoux. L’Amulette glissa de ma main.

— Johnny, Johnny, continuai-je dans un murmure de supplication que j’entendais à peine. Tue-moi… Tue-moi tout de suite…

Un dernier uppercut m’envoya contre le mur du fond. J’entendis le craquement des os de mes jambes, puis plus rien. Je sombrai dans une bienheureuse inconscience.

Fièvre Rouge
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